Energyscan est un service digital d’analyse économique du groupe Engie proposé aux entreprises clientes consommatrices ou productrices d’énergie. Il les aide à gérer le risque lié à l’exposition aux marchés financiers.
Avec Julien Hoarau, fondateur d’Energyscan, département Global Energy Management and Sales d’Engie, faisons le point sur les raisons de cette crise et le levier que représente le photovoltaïque.
Comment peut-on expliquer la crise du marché de l’électricité en France ?
Je vois trois principaux éléments déclencheurs à cette crise de grande ampleur.
Tout d’abord, les difficultés d’approvisionnement en gaz naturel, les prix de l’électricité étant fortement corrélés au prix du gaz, selon le principe du merit order*. Une augmentation du prix du gaz entraine donc dans son sillage une hausse des tarifs de l’électricité.
À l’été 2021, faisant suite à un hiver 2020-2021 plutôt froid, les stocks de gaz en France et en Europe étaient assez bas. À la même période, en raison de points de tension sur la mise en service du gazoduc Nord Stream 2, la Russie a commencé à réduire ses exportations de gaz vers l’Europe, ce qui a perturbé le remplissage des stocks pour l’hiver 2021-2022.
Il faut savoir qu’habituellement durant l’été, la France stocke environ ¼ de sa consommation annuelle de gaz, afin de gérer les pointes de froid de l’hiver.
La guerre en Ukraine qui a débuté en février 2022 a amené les pays européens à envisager des embargos sur les énergies russes, ce qui a renforcé les réductions d’approvisionnement de la Russie, alors premier fournisseur européen.
Pour compenser ce manque, la France et ses partenaires européens ont depuis importé par bateaux du gaz naturel liquéfié en provenance de plusieurs pays, dont les États-Unis en première position. Attirer ces volumes disponibles vers notre marché n’a pu se faire que par la très forte augmentation du prix du gaz en Europe, afin que celui-ci se situe au-dessus des prix du continent asiatique qui est le premier consommateur mondial de gaz naturel liquéfié. La hausse du prix de l’électricité s’est ensuivie.
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*Merit order ou préséance économique : mécanisme qui fixe le prix en fonction de la demande en électricité. Lors de périodes où la demande est plus faible, le système n’a besoin que des unités de production à coûts marginaux faibles, comme les énergies renouvelables : le prix est donc faible. À l’inverse, en cas de forte demande, il faut solliciter des unités plus couteuses, et notamment les centrales gaz, ce qui renchérit fortement le prix de l’électricité sur le marché.
Quel est le deuxième catalyseur de la crise ?
C’est le manque de disponibilité du parc nucléaire français car plus des deux-tiers de la production d’électricité en France émane des centrales nucléaires. Un problème de corrosion inattendu sur les circuits hydrauliques de certains réacteurs a contraint EDF fin 2021 à programmer des contrôles sur l’ensemble du parc nucléaire. Le temps des vérifications, des centrales sont mises à l’arrêt à tour de rôle, ce qui oblige la France à importer de l’électricité des pays voisins, alors qu’elle était traditionnellement exportatrice d’électricité. En novembre 2022, ces arrêts ont été prolongés et seule la moitié du parc nucléaire fonctionne.
C’est un changement radical pour le pays qui s’autofournissait à un coût assez bas et revendait son surplus à ses voisins. Le premier exportateur étant devenu importateur, le marché s’en retrouve déséquilibré. L’effondrement de notre production a eu un impact sur les prix de l’électricité qui ont atteint en 2022 des niveaux inédits !
En détails, voici la progression des prix d’achat moyens constatés par MWh
- Avant la crise de fin 2021 : 50 euros
- Augmentation de janvier à novembre 2021 (début du problème d’approvisionnement en gaz)
- Novembre 2021 : 139 euros
- Augmentation en 2022 (problème réacteurs nucléaires français)
- Mi-novembre 2022 : 420 euros, après un cap franchi à plus de 1000 euros à l’été 2022
Enfin, et c’est loin d’être anecdotique, citons la sécheresse de l’année 2022. Il faut savoir que l’énergie hydraulique issue des barrages est le deuxième moyen de production d’électricité en France après le nucléaire. Les conditions météorologiques de l’année 2022, avec de très faibles niveaux de précipitations, ont mis à sec de nombreux barrages et cours d’eau du territoire.
Ce facteur vient aggraver les deux précédents – pénurie sur le gaz et arrêt des réacteurs nucléaires – et participer à l’augmentation des prix de l’électricité.
Que peut-on attendre en termes de prix de l’électricité ?
Il semble clair que la baisse des prix de l’électricité passera avant tout par une baisse de la demande. Depuis septembre 2022, RTE (gestionnaire du réseau électrique français), indique une baisse de 6,6 % de la consommation d’électricité, par rapport à la période avant Covid. Ce chiffre s’entend après correction de l’effet météo, la douceur des températures ayant également participé à la baisse de la demande. En cause pour l’industrie : la fermeture d’usines ou la mise à l’arrêt de chaines de production. Le même constat s’opère sur le marché du gaz pour lequel les niveaux de prix ont entrainé une élasticité de la demande.
À court terme, compte tenu de notre grande dépendance à l’énergie nucléaire, il n’y a guère d’autre levier à effet rapide que la baisse de la demande pour faire fléchir les prix.
Quelles questions se posent dont les réponses pourraient conditionner la suite des évènements ?
Les plus structurantes, celles à plus fort impact sur la situation sont les suivantes :
- Quand le parc des centrales nucléaires sera-t-il 100 % opérationnel ?
- La météo restera-t-elle favorable durant tout l’hiver, entrainant des baisses de consommation, des particuliers notamment ?
- L’année 2023 sera-t-elle moins sèche que 2022, permettant un bon fonctionnement des barrages ?
- Comment vont se comporter les prix du gaz qui impactent ceux de l’électricité, par rapport au contexte géopolitique mondial ?
- Quel sera notre stock de gaz naturel à la fin de l’hiver ?
- Quelles mesures coordonnées les états européens seront-ils en mesure de prendre pour réduire l’impact sur les entreprises et les consommateurs (ex : plafonnement des prix, des revenus des producteurs, achats groupés…) ?
- Et enfin, quid de l’économie chinoise en 2023 ? Celle-ci reste très perturbée par l’épidémie de Covid-19 et la stratégie « zéro Covid », ce qui a entrainé une forte baisse de ses imports de gaz naturel liquéfié. L’Europe en a bénéficié en 2022 dans un contexte d’approvisionnement gazier très tendu et il n’est pas certain que cela se reproduise en 2023.
Dans un tel contexte, les énergies renouvelables, dont le photovoltaïque, représentent donc une opportunité à court, moyen et long terme ?
Tout à fait. Alors que le gaz peut être remplacé par des produits pétroliers ou du charbon, l’électricité n’a pas de substitut. À chaque instant, la production doit être équivalente à la demande, et ce, pour éviter des coupures.
Face aux difficultés rencontrées par les moyens de production centralisés, toute solution décentralisée se montre attractive. Le photovoltaïque a tout son sens pour le consommateur qui devient son propre producteur et peut réinjecter des MWh dans le circuit.
L’autoproduction et l’autoconsommation de sa propre électricité grâce à l’énergie solaire sont donc des opportunités. Elles protègent davantage les entreprises contre les fortes fluctuations des prix, elles renforcent leur indépendance et leur efficacité énergétique.
La sobriété énergétique étant une priorité absolue, les énergies renouvelables, bas carbone et hydrogène apparaissent comme un levier fort pour faire baisser la demande.
Energyscan est une plateforme digitale rassemblant des données internationales : pouvez-vous nous en dire plus ?
Pour rappel, les prix des marchés de l’énergie européens (gaz, électricité, CO2, etc.) sont déterminés par les marchés financiers soumis aux lois de l’offre et de la demande, par pays, par zone géographique. En découle une exposition à la volatilité des prix, qui s’observe particulièrement en ce moment.
Le service Energyscan, accessible en ligne aux entreprises abonnées, rassemble un nombre considérable de données mondiales et d’analyses quotidiennes des tendances des différents marchés de l’énergie : gaz, électricité, pétrole, charbon, CO2, etc.
De nombreux critères sont étudiés par les experts Energyscan, pour le gaz notamment : production, consommation, flux, quantités stockées par pays, quantités sous-tirées, quantités injectées. Les données pour l’énergie électrique sont plus locales puisque la majorité de l’électricité consommée dans un pays est produite sur son sol, mais nous présentons également les flux aux interconnexions avec les pays voisins qui désormais jouent un rôle critique pour la stabilité du système électrique français.
Les entreprises abonnées étaient historiquement des grosses structures industrielles très consommatrices d’énergie (secteurs chimie, fabrication de matériaux de construction, de métaux, de verre, etc.). Le service séduit désormais des entreprises de plus petite taille qui voient leur facture énergétique s’alourdir dangereusement, laissant les dirigeants très souvent démunis.
Comment les entreprises utilisent-elles les services d’Energyscan ?
Les entreprises ont de plus en plus besoin de mettre en place une stratégie éclairée d’achat des énergies. Frappées par la crise énergétique actuelle, elles cherchent des moyens d’actions et veulent dynamiser leur stratégie d’achat. Nombre d’entre elles ayant acheté de l’énergie à l’avance, à des tarifs plus faibles que les actuels, voient leurs contrats arriver à expiration et doivent gérer la question du renouvellement, sidérées à l’idée de devoir acheter leur énergie 5 à 10 fois plus cher.
Pour ce faire, les données concrètes et à jour sont une base de réflexion pour acheter différemment, changer ses habitudes de fonctionnement, radicalement parfois.
Pour résumer, le premier objectif de la plateforme Energyscan est de proposer un outil clé en main, avec différents niveaux d’abonnement, qui restitue de l’information intelligible, à forte valeur ajoutée.Le travail de tri, de compilation, de segmentation de nos experts rend parfaitement compte de l’état des marchés, des facteurs influençant et essaie d’anticiper, notamment sur la variable prix. Dans cette période de crise historique sur le marché des énergies, une attitude attentiste parait risquée…